— Les métamorphoses de l'Utopie à travers l'histoire offrent un champ d'investigation immense, et une bibliographie qui ne l'est pas moins. Nous nous bornerons ici à la présentation des utopies chrétiennes à la Renaissance. Pour élargir la perspective au-delà de notre propos on peut se reporter à J. Servier, Histoire de l'Utopie (Paris, coll. Idées, 1967) et Fr. E. Manuel, Utopian Thought in the Western World (Oxford, 1982). De Thomas More en 1516 à Cyrano de Bergerac avec l'Histoire comique des États et Empires de la lune publiée en 1656, il y a, en un siècle et demi, une floraison d'ouvrages qui proposent le voyage en Utopie. Raymond Trousson, dans son inventaire systématique (Voyages au pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Bruxelles, 2e éd., 1979), a pu recenser plus de vingt titres qui, pendant cette période, appartiennent clairement à ce genre. Mais pour que puissent fleurir les Utopies à la Renaissance, un certain nombre de facteurs devaient être réunis. Il a fallu en particulier la redécouverte des grands auteurs antiques païens et chrétiens, la perspective optimiste retrouvée en réaction aux tourments et aux désolations du 15e siècle, et à partir de là le mouvement pédagogique qui se sert de l'imaginaire et de l'humour pour frapper les esprits. On aura reconnu ainsi les grands traits de l'humanisme. Mais 102 si l'on observe attentivement les deux pentes de l'humanisme au 16e siècle, celle qui est tentée par un certain néo-paganisme ou celle qui épouse l'inspiration chrétienne et entend la servir, il semble bien que la conception utopique s'enracine, au moins au départ, plutôt dans la seconde voie. Ce n'est certes pas directement le fait que les Utopies sont souvent rédigées par des ecclésiastiques qui fournit l'assurance d'une visée spirituelle. C'est plutôt la méditation par ces personnages de ce qui serait pour eux l'Utopie par excellence : l'Évangile.

1. LES SOURCES.

— On a certes pu avoir dès l'Antiquité la conception de cités idéales en architecture (Hippodamos de Milet) ou au théâtre (Aristophane), mais le modèle fondateur reste...

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