D I C T I O N N A I R E   D E   S P I R I T U A L I T É

Oeuvre monumentale, parue de 1932 à 1995, Le Dictionnaire de Spiritualité est enfin publié intégralement de A jusqu'à Z, avec un index particulièrement utile. A beaucoup de points de vue, c'était un défi. Le pari a été tenu. On peut même dire que les fruits dépassent le projet primitif, car très vite les perspectives du début ont été amplifiées et précisées.

Dans les années 30, lancer l'idée et assurer la réalisation d'un tel dictionnaire pouvait paraître, face au bloc solide du dogme catholique, une entreprise marginale concernant les techniques de prière, les états mystiques et les divers phénomènes qui parfois les accompagnent. D'ailleurs, initialement, le nom prévu était Dictionnaire d'ascétique et de mystique. Rapidement le point de vue s'élargit et un titre s'imposa, qui donnait à l'entreprise son orientation originale : Dictionnaire de Spiritualité.

Peu à peu, le domaine à explorer et la méthode se précisèrent. Dans les premiers fascicules, bien des exposés étaient rapides ; et les responsables n'avaient pas encore parfaitement saisi l'importance de l'histoire pour rendre compte de la spiritualité. D'une manière ou d'une autre, les premiers articles du Dictionnaire ont par la suite été repris, développés et adaptés.

L'intuition de base, ainsi amplifiée et révisée, allait se révéler non seulement valable, mais révolutionnaire. A cette époque, la réflexion chrétienne, encadrée et limitée par une théologie dogmatique en grande partie déductive et obligatoire, avait besoin d'un nouveau souffle. Voici que la spiritualité, fondée en même temps sur l'expérience et sur la liberté qui président à l'invention des divers chemins conduisant à Dieu, renouvelait toutes les questions. Afin de mettre en lumière la part d'invention et de liberté propre à l'éclosion des grands courants spirituels, la méthode s'imposait, basée sur une lecture historique des développements de la spiritualité. Progressivement, toute une part de la vie et de la réflexion chrétiennes, que la doctrine avait essayé d'annexer et de codifier, se trouvait à juste titre revendiquée par la spiritualité. Ce domaine de la liberté chrétienne, où chacun, éclairé par la foi chrétienne, est invité à inventer son chemin, est un terrain d'expérience concrète, où il est possible de rencontrer toutes les personnes de bonne volonté en recherche d'humanité et de spiritualité.

Cette révolution tranquille s'est faite lentement, sans bruit, sans excès. A sa place, avec d'autres éléments similaires, elle a préparé l'éclosion irrésistible de Vatican II ; et aujourd'hui, patiemment, elle aide à bien comprendre l'originalité et le dynamisme de ce concile.

Sur cette toile de fond, tout naturellement, beaucoup de problèmes se trouvaient, sinon résolus, du moins abordés sans préalables négatifs : symbiose de la recherche historique et de la réflexion ; collaboration internationale et oecuménique ; ouverture vers les recherches spirituelles des religions ; utilisation des acquis des sciences humaines ; collaboration avec les universitaires spécialistes de courants spirituels ; souci de donner leur juste place aux nombreuses femmes qui ont écrit, fondé, agi dans ce domaine.

Des milliers de collaborateurs, provenant du monde entier et de tous les horizons, ont contribué à faire de ce Dictionnaire ce qu'il est. Cela fut rendu possible grâce au patient travail des directeurs qui se sont succédé, parmi lesquels il convient de citer spécialement les Pères Marcel Viller, André Rayez, André Derville, sans oublier l'impulsion et le labeur quotidien des Editions Beauchesne (Gabriel et Henri Beauchesne ; Monique Cadic), de Firmin Didot et de l'Imprimerie Alençonnaise. De 1932 à 1995 le Dictionnaire de Spiritualité a été un organisme vivant : croissance, reprises, développements, adaptations. Menée avec souplesse, l'entreprise avait besoin parfois d'une main de fer pour imposer certains impératifs : absence de toute polémique et de tout engagement partial. Que dire aussi des articles en retard, inadaptés, ou trop longs, pour lesquels il fallait rapidement inventer une solution adéquate et exacte. Parfois des circonstances plus graves (guerres, maladies, décès) obligeaient l'équipe directrice à des remaniements, difficiles sur le moment, mais toujours réparés par la suite.

Ce Dictionnaire est particulièrement utile aux historiens qui veulent mieux connaître les auteurs spirituels de divers pays, et qui s'attachent à suivre l'évolution des mentalités, des institutions, des grandes notions fondamentales. Ainsi s'est-il répandu à travers le monde entier et dans tous les milieux. On le trouve chez des particuliers cultivés, dans la plupart des monastères et des centres d'études théologiques, dans beaucoup de bibliothèques universitaires, où son érudition est particulièrement appréciée, au Centre Georges-Pompidou, dans les bibliothèques de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Même à l'époque du rideau de fer, il parvenait soit par la Poste, soit par d'autres moyens, dans les pays de l'Est, quitte maintenant pour ces bibliothèques à compléter des collections qui ont souffert des conséquences de la guerre froide.

Au-delà de tous les monolithismes et de tous les a priori, quels qu'ils soient, le Dictionnaire de Spiritualité, avec rigueur scientifique et ouverture humaine, présente la diversité des chemins spirituels vers Dieu au service de l'homme et se plaît à souligner la liberté de l'invention spirituelle qui, au cours des siècles, n'a cessé et ne cesse de stimuler tous ceux qui, avec lucidité, cherchent leur propre chemin.

Paul LAMARCHE s.j.
Dictionnaire de Spiritualité