— Plusieurs Pères de l'Église et de nombreux auteurs spirituels emploient les formules sobria ebrietas, ebrietas spiritus, ivresse spirituelle pour désigner une des manifestations de la rencontre entre l'homme et Dieu. Si l'ivresse du corps tire pour un temps l'homme en dehors de son existence ordinaire, celle de l'esprit lui fait oublier ses limites, sa misère et ses épreuves (noter le lien fréquent entre ivresse et oubli) et lui donne accès à l'expérience de Dieu. L'expression sobria ebrietas, qui est la plus ancienne, suggère que les Pères et les auteurs chrétiens, à la suite de Philon, ont cru devoir marquer la différence entre cette expérience spirituelle et les « ivresses divines » que recherchaient les adeptes du culte dionysiaque et dont on relève des équivalences chez d'autres peuples et en d'autres religions (cf P. de Félice, Poisons sacrés et ivresses divines. Essai sur quelques formes inférieures de la mystique, Paris, 1936, 1970). Chez les Pères et les spirituels chrétiens, — on trouvera quelques brèves indications sur la tradition juive et la mystique musulmane, infra, col 2337 —, l'ivresse de l'esprit est le fruit de la communion eucharistique (Origène, Grégoire de Nysse, etc), de la méditation des Écritures (auteurs médiévaux), de la contemplation mystique (Bernard de Clairvaux, les victorins, Bonaventure, etc), des fiançailles et des noces spirituelles (mystique carmélitaine) ; elle n'est d'ailleurs pas recherchée dans des manifestations collectives, mais dans la rencontre personnelle de l'homme avec Dieu. Nous limiterons notre enquête à la tradition chrétienne, sans vouloir pour autant porter un jugement sur les techniques et la valeur des phénomènes propres à d'autres cultures ou religions. I. Pères de l'Église. — II. Moyen âge. — III. Temps modernes.

I. LES PÈRES DE L'ÉGLISE

1. Sources et vocabulaire.

— Si quelques passages de l'Écriture furent pour certains Pères l'occasion de développements sur l'ivresse spirituelle, celle-ci n'est pourtant pas à proprement parler une idée biblique. En effet, l'Écriture utilise le mot πίνειν...

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